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A Paris 8 dans le studio radio le 04 octobre 2017. C’est Victoria qui m’a donné son contact.

Peux-tu me parler de ton rapport au territoire de Saint Denis ? Si tu y vis, t'y promenes.. ?

J’y habite depuis 5 ans. J’y suis venu parce que je voulais aller à l’université de Paris 8 et pour moi c’était très important d’habiter au même endroit que là ou j’étudiais pour pouvoir créer des passerelles entre l’université et mon chez moi, pour pouvoir inviter des gens, avoir un rapport avec l’extérieur. C’était ma vision de ce que ça devait être. J’ai toujours habité près des endroit où j’ai étudié et où j’ai travaillé, et pour moi c’est une donnée assez importante. Peut etre du fait que je n’ai pas de voiture, j’essaye de faire tout à pied ou en vélo. Je me suis donc implantée à St Denis dans une petite maison en colloc et finallement après mes études j’y suis restée parce que j’ai découvert une ville que je n’aurais jamais découvert autrement. Quand je suis arrivée à Paris au départ j’habitais dans Paris et j‘étais à la Sorbonne, c’est plus tard que j’ai eu envie de découvrir Paris 8.

Comment as-tu eu envie d’y aller ?

J’ai fait mes études à Nancy en licence et mon rêve était d’aller à Paris. Je suis venue pour commencer un master de lettre à Paris. Finallement le parcours tout tracé ne m’a pas convenu et à la suite de ça je suis partie en stop pendant 2 ans en Europe et j’y ai découvert les milieux alternatifs. Au cours de cette expérience je me suis questionnée sur mon mode de vie et notamment mon rapport au collectif. Un jour une amie m’a invité à une réunion féministe à Paris 8, que j’ai trouvé super interessante. Je fais cependant remarquer à mon amie que je trouve qu’une personne prend quand même beaucoup la parole et elle me dit : «C’est la prof. C’est un cours de philosophie.» Et là je me dit «Ok, il faut que je vienne à Paris 8.» Je suis donc entrée à nouveau en Master de lettre mais avec un tout autre parcours, un tout autre profil.

Tu me disais que tu habites à coté de l’université, que connais-tu du reste de Saint Denis ?

Au début, j’étais vraiment très présente à Paris 8 parce que c’est une université-monde, c’est tellement énorme que ma vie c’était à Paris 8. Je ne connaissais donc même pas tant mon quartier que ça surtout que c’est un espace qui est en train de bouger, d’avoir de plus en plus de commerces mais au départ il n'y avait pas encore le tram, pas beaucoup de commerces.. donc pas beaucoup de vie dans ce quartier. Je sortais très peu à Saint Denis dans le centre. Par contre ma rue c’est des anciennes maisons ouvrières et donc il y a tout un tas de gens qui sont là depuis 40 ans , qui sont très aidants les uns envers les autres avec un rapport vraiment chouette entre les habitants. Ma voisine prend le courrier de toute le monde quand on est pas là.. C’est vraiment depuis l’année dernière que j’ai réussi un peu à quitter le cocon Paris 8 et à m’intégrer à Saint Denis et du coup c’est principalement dans le centre de St Denis. J’ai peu de rapport avec mon quartier à part avec mes voisins. Je croise aussi des habitants parce que je vais au taxiphone.

Le taxiphone ?

C’est comme un cyber café. Jusqu’à très recemment je n’avais pas Internet chez moi, par choix. A Paris 8 avec la Bibliothèque ouverte jusque 20H je n’en avais pas besoins et ça me permettais de segmenter un peu des parties de ma vie avec des espaces connectés et des espaces non connectés. Je n’ai pas de Smartphone non plus. J’ai été un peu prof et parfois ça m’a amené a devoir travailler un peu plus tard quand même et donc j’allais au taxiphone. Je trouve que c’est un endroit extraordinaire: à la fois il vend des clopes, des cafés, il récupère le courrier, il fait des photocopies, tu peux utiliser Internet, appeler en Afrique.. Et du coup par ce biais là je connais des gens du quartier que j’y croisais régulièrement et que je n'aurais jamais rencontré par ailleurs. Tu y rencontres des gens qui ne parlent pas forcément français, tu y croise des sphères sociales et culturelles. C’est un endroit très peu cher, donc tu y vas tel que tu es avec des besoins élémentaires de café, d’appel, de connexion web.. ça marche bien. C’est un lieu très vivant où l'on se rencontre sans se rencontrer mais à force de s’y croiser on discute, on crée du lien. C’est un lieu qui fait vraiment partie de mon intégration de quartier.

Mais sinon c’est vrai que les gens que j’ai rencontré à St Denis ça a quand même été plus en centre ville à travers des lieux un peu symboliques , comme le bar Le Pavillon, la galerie ADADA, le cinéma l’écran, le théatre Gerard Philipe...pour le coup, ça ressemble à un village. Quand je passe devant Le Pavillon, je jette un coup d'oeil pour voir s'il n'y a pas des gens que je connais, parce que c’est un lieu qui se trouve un peu dans un carrefour et ou tu vois tout de suite les gens qui y sont installés.

Le Pavillon est un lieu qui revient beaucoup dans mes échanges avec des habitans, pourquoi à ton avis ?

Si Le Pavillon est symbolique à St Denis, je pense que c’est parcque dans beaucoup de bars de St Denis tu ne vas trouver quasiment que des hommes, alors qu’au Pavillon c’est vraiment mixte, son emplacement géographique est assez stratégique, avec une bonne visibilité, et le patron a une grande ouverture d’esprit. Tu peux y proposer des choses un peu insolites, des concerts,.. Nous on y a fait une performance artistique avec une amie. C’est pour ça que ce lieu a une grande importance. Il faut dire qu'ici, il y a un milieu alternatif assez étendu et en meme temps.. on recroise souvent les même personnes, dans les même lieux.. depuis que je m’intègre dans le centre ville, je découvre St Denis comme un village.

Qu'est-ce qui est central pour toi, dans ce "village" que tu décris ?

Je fais partie d’un réseau qui est devenu vraiment important pour moi et pour beaucoup de gens je pense à St Denis, qui est l’AMAP. Cette AMAP, c’est plein de choses, c’est plus qu’une AMAP. Manger des bons légumes, c’est super, mais c’est presque un pretexte. C’est surtout un moyen de se rencontrer et de se connaître entre dyonisiens. On a une liste mail où l'on se partage des infos: Qu’on ai quelque chose à donner, que l'on cherche un medecin, un plombier.. que l'on diffuse une date de concert.. tout ça passe par la liste de discussion. Et ça marche très bien : tu envois un mail et tu es sûr d’avoir une réponse. Mon dernier colocataire, je l’ai trouvé par ce biais là. Il y a même des gens qui ne sont plus à l’AMAP, parce qu’ils ont déménagé par exemple, et qui restent inscrits sur les listes de discussion pour avoir les infos.

Et pour être reliées à cette chaine de mails, tu le fais depuis le Taxiphone ? Tu n’as toujours pas internet chez toi ?

Non maintenant j’ai une Web-trotter, ce qui me permet d’avoir internet aussi quand je vais dans ma maison en Normandie par exemple. C’est une petite boîte que tu peux trimballer partout et que tu branche en usb pour avoir le Wifi. Donc c’est un peu comme une box que tu peux transporter facilement pour te connecter à la campagne, dans le train.. Donc je triche un peu, c’est en train d’évoluer doucement.

Avec cette web-trotter, pour quelqu’un de "déconnecté" tu es donc plutôt.. ultra-connectée ?

Oui c’est vrai, mais je n’ai pas de smarthpone donc il faut que j’ai accès à un ordinateur si je veux me connecter, ce qui me met dans une autre configuration, où je ne suis pas tout le temps connectée. Je pense que dans le réseau alternatif il y a encore beaucoup de gens comme moi qui ont des vieux téléphones basiques qui appellent et envoient des sms, pour être joignables mais pas connectés en permanence. Pour ma part je privilégie toujours le contact direct au téléphone ou autres outils. A un moment donné je n’avais qu’un téléphone fixe, puis pendant quelques temps plus de téléphone du tout donc il fallait se fixer des rendez-vous. Mais on a pu me repprocher de faire subir mon mode de vie aux autres: par exemple une fois le rendez-vous, fixé on ne pouvait pas me prévenir d’un retard, décaler d’une demi heure etc.. Maintenant, j’ai un téléphone portable mais j’essaye de ne pas avoir de Smartphone. Je vois déjà l’évolution: avant je n’avais ni internet ni téléphone et déjà, j’ai ma web-trotter et un téléphone. Cet englobement me fait peur, je n’ai pas envie d’avoir une vie virtuelle. Je veux bien que ce soit un outil qui me permette d’avoir un contact humain direct, mais pas que ça remplace ces échanges directs. Mon usage du numérique se cantonne aux recherches et aux mails, je n’ai pas Facebook, pour des raisons idéologiques aussi, je n’ai pas twitter, pas snapchat... je n’y connais rien.

Tu dissocies complétement une vie virtuelle d’une vie physique ?

Oui, car j’ai l’impression que l’on se crée une image de ce que l’on veut montrer de soi et je n'’ai pas envie d’entrer dans cette logique, en montrant des choses attrayantes me concernant pour que l’on ai envie de me rencontrer.

Ta crainte me parait liée au fonctionnement des réseaux sociaux, mais que penses-tu de l’outil mail qui te permet de densifier ton réseau, par exemple avec l’AMAP ? Celui-ci me parait être très lié à ta vie physique, non ?

C’est vrai mais en même temps ce qui est parfois étrange c’est que des personnes vont me répondre, par exemple sur les discussions de l’AMAP, mais je ne sais pas qui elles sont. Cela engendre quand même une frustration. Par exemple, lorsque j’ai cherché mon colocataire sur cette liste mail, des personnes m’ont répondu car mon annonce leur avait donné envie de me rencontrer, bien qu’ils ne cherchaient pas de logement dans l’immediat. Ce que j’aime bien par exemple au Pavillon c’est le fait que ça puisse etre une rencontre spontannée, physique. J’ai l’impression qu’avant, quand on avait pas de téléphone portable, il y avait les café ou on savait que vers telle heure on pourrait y rencontrer des connaissances, au Pavillon c’est un peu comme ça. Et il y encore un peu ça à St Denis parce que c’est une ville ou, j’ai l’impression, les gens sont très connectés entre eux, il y a beaucoup de choses qui se passent, beaucoup de réseau. Et je trouve ça mieux que le réseau informatique, même si on peut dire que ça fonctionne ensemble, mais je pense que c’est parce que les gens font des choses ensemble physiquement que ce réseau est interessant. Donc, effectivement on ne parle pas d’une « autre vie », c’est juste un outil derrière tout l’échange social entre les gens. Mais ce qui m’inquiètes, c’est que cet outil prenne plus de place et « devienne la vie ». 

A Saint-Denis il y a aussi un truc très pragmatique qui fait que ce n'est pas le cas : c’est qu’il y a beaucoup de gens dans le milieu alternatif qui sont dans le refus de Facebook, Twitter, etc , n’ont pas de smartphone.. et ,concretement, pour les voir il faut se débrouiller autrement. Et il y a aussi le fait que St Denis soit une ville pauvre: tout le monde ne peut pas être pas équipé pour être connecté et il y a une sorte d’instabilité de la connexion qui pousse plus les gens à se parler. Des fois, à mal se parler, c’est sûr, mais en étant dans un échange direct. Il y a beaucoup de groupes de gens dans la rue qui discutent des heures de jour ou de nuit. Il y a une vraie facilité communicationnelle, même si bien sûr il reste des groupes.. Mon ancien colloque, en 3 mois il connaissait tout Saint Denis..

Tu as l'air de bien connaître le milieu alternatif lié à Saint-Denis, pourrais-tu m'en citer un lieu, une structure en particulier ?

J’ai beaucoup suivi les débuts de l’Attiéké. Il n’existe plus aujourd’hui, il y a eu des expulsions, mais ça a été un lieu important et vraiment interessant. Ils ont réussis à proposer des activités multiples pour des publics assez différents, à la fois atelier vélo, d’alphabétisation, activités pour les enfants, des projections militantes, des débats, un lieu de vie.. Ils ont vraiment réussi à en faire un lieu social auto-géré. C’est à dire qui répond à des demandes sociales, qui est ouvert sur l’extérieur. Pas un squat fermé et qui reste dans l’entre-soit. Il y avait une vraie implication dans le territoire et ça à vraiment marché. Lorsque tu allais en soirée à l’Attiéké, tu y croisais toute sorte de gens, de mentalité, de culture, sans être regardé de travers à l’entrée, sans même payer, c’était prix libre. C’est resté 2 ans et demi/3 ans sur le territoire, donc avec un vrai temps d'implantation, alors que souvent les squat ont une durée de vie assez courte, plutot d’un an.

Comment marchait la communication ?

N’étant pas très connectée j’ai peut-être loupé des choses mais en tous cas, il y avait des mails pour les grands énévements, des sms.. des affiches aussi car il y avait une vraie volontée d’ouverture. Mais en réalité, généralement c’est plus facile d’entrée dans un squat si tu y connais quelqu’un.. C’est pour ça aussi que sur l’Attiéké en particulier il y a eu un travail sémantique sur le fait d’appeller ça un centre social auto géré et non un squat, pour ne pas renvoyer à un imaginaire « sale, malpropre, drogue, illégal..» alors que centre social ,on parle tout de suite d’un lieu de vie ouvert. Le bouche à oreille est super important. Dans les squats que j’ai pu croiser dans mon voyage en europe c’était un peu plus fermé, ça fonctionne plus par code, dans le sens ou tu rentre dans le groupe soit parce que tu y connais quelqu’un soit parce que, dans ta façon de t’exprimer, de te vétir, tu répond aux même « codes », tu es reconnu par le groupe. Par exemple parce que tu fait du stop, de la récup sur un marché.. il y a une sorte de reconnaissance sociale qui agit et c’est comme ça que tu rencontre le groupe. Ca reste très fermé donc la communication est assez limitée pour se contenter du bouche à oreilles, du contact direct.