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Au café Le Basilic sur la place de la Basilique de Saint-Denis, le 5 Septembre 2017. Victoria m’a donné son contact par mail.

Est-ce que tu peux me parler un peu de ton rapport à ce territoire ?

Je suis arrivée fin 1986 dans un immeuble de la zac basilique, au dessus de Mc Do, un immeuble d’HLM. On est tous arrivés un peu en même temps, c’était des immeubles neufs. Moi j’étais au chômage à l’époque et très rapidement avec d’autres gens on a monté une association de locataire qui a été très dynamique. Je me suis pas mal occupé de cette amicale là, après on a monté un collectif d’asso qui faisait ses activités dans un local juste au dessus du C&A. Le collectif était branché sur des activités comme de la musique pour enfant, théâtre pour enfant, beaucoup de corporel : du yoga, qui est toujours là, du stretching, du théâtre. En 2003 j’ai repris des études à la FAC de Paris 8, j’ai fait un DESS, une branche un peu tordue de la sociologie, qui m’a bien plu et puis j’ai continué en thèse. J’ai fait des enquêtes sociologiques avec un prof sur Saint-Denis et je viens de terminer et de soutenir ma thèse en juin. Un long parcours. Entre temps j’ai pas mal bossé dans les milieux militants et des projets de quartiers. Avec des copains artistes on avait fabriqué des chars avec lesquels on déambulait dans les quartiers.

Mais c'est dificlle de te parler de ma vision du territoire aujourd'hui car depuis 86, beaucoup de choses ont changé, mon rapport évolue. Par rapport à l’association de locataires par exemple, pas mal de choses qui ont changées aujourd’hui. C’est un peu les « choses qui ne se disent pas ». Quand on est arrivés, en 1986 c’était dans un HLM privé. Une logique HLM mais pas par un organisme public. Donc un peu plus cher et donc avec une population plutôt « Classe moyenne blanche ». Petit à petit, cette population soit s’en va, soit accède à la propriété et peu à peu, la population d'habitants change. Aujourd’hui la grande majorité des familles sont africaines. Ce que ça change, c’est qu’il y a plus de monde, plus de monde dans les espaces communs et on constate aussi un effondrement des associations. Notre méthode de militants classique ne fonctionne plus. On était très « ordre du jour/réunions ». Mais on s’est rendus compte que ça marchait plus, d’abord parce que beaucoup d'habitants ne viennent pas aux réunions :Peut-être parce que c'est trop formel, parce que tout le monde ne parlait pas toujours français, que les femmes ne viennent pas avec les hommes,..toutes sortes de choses qui étaient plutôt de l’ordre culturel et qu’on a pas pu anticiper. On pu a trouver des astuces, par exemple avec les femmes on faisait des thés en passant par les copines, etc.. mais pas pour tout. Pour la communication on a arrêté l’affichage, les boites aux lettres, on passe quasiment que par mail avec ses avantages et ses inconvénients, car ceux qui n’ont pas d’adresse mail ou ne s’en servent pas beaucoup, ils n’ont juste pas l’info.. J’ai décidé de me créer une page Facebook parce que je me suis rendu compte que c’était plus simple pour relayer les infos du quartier, car chacun peut les découvrir aussi par ses propres contacts. C’est un peu une page « locale » pour moi, je n’y raconte pas ma vie c’est plus une démarche sociale/professionnelle..

**Comment est-ce que tu definirait la notion de réseau dans ce territoire de Saint-Denis ? **

Saint Denis c’est un bon endroit pour étudier cette question de réseau.. Quand on dit Saint-Denis, en plus, c’est tellement vaste.. moi j’habite ici depuis 30 ans et finalement, je connais un peu le centre ville car j’y habite, je connais la FAC parce que j’y ai été amené à y bosser, mais certains quartiers, je n’y ai jamais mis les pieds. Et je n’y mettrais pas les pieds, ou vraiment occasionnellement, mais je n’y connais pas quoi que ce soit. En te parlant je me rend compte que nous, en centre ville, on a tendant à dire «on» est Saint Denis. Mais en réalité lorsque l’on parle de Saint Denis, on parle ou d’une grande entité abstraite ou d’un petit bout de quartier que l’on connaît. Je connais un peu la plaine maintenant parce que que j’y ai travaillé depuis 2 ans avec des étudiants, mais c’est vrai que j’ai l’habitude de plaisanter sur le fait que «mon» Saint Denis va de la Fac à Porte de Paris en passant par le théatre Gérard Philipe. Comme on est dans du dense, ma connaissance de St Denis est à la fois approfondie sur certains plans et très très approximative sur pleins de choses. Il y a une époque ou j’entendais beaucoup « Saint Denis est un village». Saint-Denis est un village, c’est vrai, mais d’un petit noyau de gens. Par rapport à la Grande ville c’est pas vraiment un village, peut etre DES villages..

Mais en même temps je remarque, notamment en étant dans cet HLM, que la proximité spatiale ne crée pas naturellement de proximité entre les gens. Il y a pleins de choses qui ne se croisent pas. Notre local avait été une grande leçon pour moi. Au début on avait l’objectif classique de défendre l’interet du locataire. Mais on a eu envie de choses plus amusantes donc comme on avait ce local, on a ouvert des ateliers, des activités dans le local. On partait du principe qu’un travail de ce type allait forcément créer une vie sociale dans l’immeuble. Mais chemin faisant on s’est rendu compte qu’on avait quasi personnes de l’immeuble qui venait. On avait aussi été cambriolé plusieurs fois et on avait su que quelques fois c’était des gamins du coin. Donc j’ai commencé à réfléchir en prenant un peu le problème à l’envers et je me suis dit, ben peut-être qu’on le squatte enfait ce local. Peut-être qu’on s’impose et que quelque part les jeunes nous disaient « Ben pourquoi nous on y entrerait pas aussi ?». Dans les réunions, ça commençait à parler de sécuriser et fermer encore plus le local. Mais a mon avis, ça n'était pas du tout la solution. On a finallement essayé d’ouvrir beaucoup plus, de laisser l’espace. Y’a eu tout le travail de Julia aussi avec les jeunes, et au final c’était eux qui nous gardaient la salle. Des volets et des clefs, ok, un minimum, mais pas de grilles, pas de digicodes, il ne faut pas cloisonner tous les espaces. Et je dirais que les gamins pour le coup, ils en ont du réseau. Ils savent tous qui est qui, qui habite où. Quand y’a un gouter d’anniversaire il faut pas 15min pour que tout le monde soit au courant qu’il y a du gateau dans le coin.

Je rebondi sur cette question d'ouverture ou de cloisonnement des espaces, que penses-tu de l'architecture de Gailhoustet, l'architecte des ilôts ?

C’est une drôle d’architecture, avec ses recoins aussi. Mais là, chez Plaine Commune habitat, ils veulent rénover et mettre des barrière, tout cloisonner. C’est un vrai mépris des usages. Au dessus de Carrefour ils en on foutu partout des grilles, c’est immonde. Si on avait un immeuble classique on aurait pu accepter des digicodes sans trop de problème mais avec l’architecture qu’on a, avec tous les accès, les ouvertures, on aura que ça partout.

J'en reviens à tes moyens d’échange, tu me parlais tout à l’heure de ta page Facebook, quel rapport tu as globalement aux outils numérique, à internet ?

Déjà je remarque que dans ma génération, alors que ça a été une appropriation assez tardive, il y a une intégration vraiment impressionnante de ces outils, qui on pu nous paraître rébarbatifs au début mais qui sont entrés dans notre vie avec une certaine facilité.. alors que c’était pas du tout notre culture. Même les ordinateurs.. moi au boulot, en 90, j’avais demandé à avoir un ordinateur et il me répondait « t’es pas secrétaire », et finallement, 3 ans plus tard, on avait tous des ordinateurs avec nos mails et tout ça. Il y a eu un changement de culture très rapide et c’était frappant dans le monde du travail. Quand je me suis mise à l’ordinateur au boulot ça a bougé tres vite, on s’est vite mis aux mails, à internet. Au début, j'avais du mal, ça m'enuyait, mais maintenant on s’en sert tout le temps. Et puis maintenant il y a Facebook que je considère pour le moment comme un petit réseau de copains, plutot militant. Je poste un petit peu, tu iras voir ma page, et je relais quelques trucs. Pas trop non plus car j’ai remarqué que ceux qui postent tout le temps ça peu devenir vite fatiguant et l’info se noie. Et je ne relais pas les histoires de petits chiens, de petits chats..qui m’amusent bien par ailleurs. C’est plutot pour moi une manière de relayer. Pour échanger et converser, je suis beaucoup plus mail. Il y a encore peu de temps, j’avais l’habitude d’envoyer des mails à mon fils, pour lui faire part d’une chose que j’avais vu ou lui dire quelque chose, et puis un jour il me dit «  maman c’est les vieux qui communiquent par mail ». C’était au moment où j’ouvrais ma page Facebook et il m’a envoyé un petit message dessus, alors maintenant je lui réponds là, sur [messenger,]() et quand je lui envoie une info, un lien, même du salon à sa chambre, je lui envoie sur messenger.

J’ai un ami, Pascal, professeur à Paris 8 ,avec qui j’ai monté La Fabrique de Sociologie [](www.fabriquesdesociologie.net?target=_blank?classes=linkext) qui ecrit vraiment ses mails, pas comme on peut le faire des fois dans un style un peu oral. Il ecrit, il prend le temps, il formule. On a commencé à beaucoup correspondre un peu à la manière d’un journal, on raconte. On reprend un point et on commence à le développer. Et du coup on avance. On pose vraiment nos réfléxions. Avec tout une bande de doctorants on échange comme ça, par listes de mails, pour organiser nos événements et tout ça.. Pour un projet, l’un d’entre nous, plutôt jeune, à ouvert un Wiki, mais nous qui sommes plus agés on est perdus là dessus. Y’a pas de mail qui nous dit qu’il y a une nouveauté sur le Wiki alors on avait fini par un peu l’abandonner. On s’était remis à faire des mails, mais notre ami nous a relancé pour le Wiki car c’est vrai que pour l’archive c’est mieux. Ca nous demande un effort, c’est un peu plus long à intégrer. Une sorte d’approche visuelle qui est différente..